Quand les plus compétents quittent la course : un enjeu pour l’école et pour nous, enseignants



1. Un paradoxe que nous observons tous
Dans nos classes, dans nos établissements, dans nos systèmes éducatifs, un phénomène revient régulièrement :
Les élèves les plus compétents ne sont pas toujours ceux qui restent le plus longtemps dans les parcours traditionnels, ni ceux qui finissent par occuper les postes de responsabilité dans le système.
Ce constat n’est pas un jugement, mais un signal pédagogique.
Il nous invite à réfléchir à la manière dont l’école :
- sélectionne
- oriente
- valorise
- accompagne
- et parfois… perd ses meilleurs éléments
2. Le parcours scolaire : une mécanique qui produit des effets inattendus
• Les élèves très performants
Ils réussissent les concours, accèdent aux filières sélectives, trouvent rapidement un emploi.
Ils quittent l’université classique, et plus largement, ils quittent le système éducatif pour entrer dans des environnements plus dynamiques.
Ils ne s’éloignent pas par désengagement, mais parce que leurs compétences leur ouvrent d’autres horizons.
• Les élèves moyens
Ils poursuivent leurs études dans les filières longues, obtiennent des diplômes universitaires, et deviennent souvent :
- enseignants
- cadres administratifs
- responsables pédagogiques
- gestionnaires du système
Ce sont eux qui font tourner l’institution, non par défaut, mais parce qu’ils y restent plus longtemps.
3. Pourquoi les plus compétents quittent-ils le système ?
Trois raisons pédagogiques majeures :
i. La compétence donne de la mobilité
Les élèves très compétents ont plus de choix.
Ils peuvent quitter un système rigide pour des environnements plus flexibles, plus innovants, plus stimulants.
ii. La lucidité rend critique
Les élèves brillants voient les incohérences, les lenteurs, les limites.
Ils questionnent, proposent, dérangent parfois.
Dans un système peu ouvert à la critique, ils se sentent vite à l’étroit.
iii. La réussite scolaire n’est pas la même que la réussite institutionnelle
Le système valorise souvent :
- la conformité
- la persévérance administrative
- la capacité à suivre les règles
- la tolérance à la bureaucratie
Autant de qualités utiles, mais pas directement liées à la compétence académique.
4. Ce que cela implique pour nous, enseignants
Ce paradoxe nous invite à repenser notre rôle.
Non pas pour “retenir” les meilleurs, mais pour ne pas les perdre pédagogiquement.
i. Valoriser la pensée critique
Encourager les élèves à questionner, analyser, proposer.
Faire de la critique un outil d’apprentissage, pas une menace.
ii. Reconnaître les profils atypiques
Les élèves très compétents ne sont pas toujours les plus dociles.
Ils peuvent être :
- rapides
- impatients
- exigeants
- sensibles à l’injustice
- allergiques à la routine
Ce sont des signaux de potentiel, pas des défauts.
iii. Diversifier les formes de réussite
La réussite ne se limite pas à la hiérarchie scolaire.
Elle peut être :
- créative
- entrepreneuriale
- scientifique
- sociale
- artistique
- technique
Plus nous ouvrons de portes, moins les talents se sentent enfermés.
iv. Construire un climat où l’excellence est accueillie
Un élève brillant ne doit pas se sentir “de trop”, ni “hors norme”.
Il doit sentir que son niveau est une ressource, pas une anomalie.
5. Transformer le paradoxe en levier pédagogique
Ce phénomène n’est pas une fatalité.
Il peut devenir un outil de réflexion collective :
- Comment rendre nos classes plus stimulantes pour les élèves avancés ?
- Comment éviter que la conformité soit la seule voie de progression ?
- Comment encourager l’innovation pédagogique chez les enseignants eux-mêmes ?
- Comment faire de l’école un lieu où la compétence trouve sa place, à tous les niveaux ?
Conclusion pour les enseignants
Quand les plus compétents quittent la course, ce n’est pas un échec individuel.
C’est un message adressé au système.
Notre mission n’est pas de retenir les talents par contrainte,
mais de créer un environnement où ils ont envie de rester, d’apprendre, de contribuer.
Un système éducatif vivant est celui où :
- la compétence est reconnue
- la créativité est encouragée
- la pensée critique est valorisée
- et chaque élève, quel que soit son niveau, trouve un espace pour grandir
C’est là que notre rôle devient essentiel.

Pr. Farid Mita, Auteur indépendant et ex-formateur des enseignants des mathématiques de l’enseignement secondaire collégial et qualifiant au CRMEF de Safi

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